PRESSE
PRESSE EMPIRE OF FLORA
Lumineuse ténacité de Michèle Murray à Montpellier danse
02 juillet 2022 | PAR Gerard Mayen TOUTE LA CULTUREIntelligence de composition et intelligence d’interprétation illuminent EMPIRE OF FLORA, nouvelle pièce de la chorégraphe montpelliéraine
Jean-Paul Montanari, programmateur du festival Montpellier danse, compte parmi les mainteneurs de la grande tradition cunninghamienne, saluant l’influence fondatrice du maître new-yorkais sur une grande lignée de la danse contemporaine savante occidentale. On se doute que cela joue dans son attachement au travail de Michèle Murray. Cette chorégraphe de la belle maturité est américaine d’origine, s’est notamment formée auprès de Merce Cunningham. Aujourd’hui c’est depuis Montpellier (une ville qui ne compte pas moins d’une vingtaine de compagnies significatives) qu’elle développe un travail bellement indifférent à tous les effets de mode.
EMPIRE OF FLORA est sa toute dernière création, pour la quarante-deuxième édition du festival Montpellier danse. Sur scène, on y retrouve une femme aux platines, et quatre hommes au plateau. On adhère complètement au commentaire de Michèle Murray à ce propos : « Cette répartition n’a pas été pensée délibérément comme telle (selon des problématiques de genre ou autre) ; même si cette solution peut paraître heureuse ».
Cette citation nous semble résonner subtilement avec une logique d’ensemble de ce travail : EMPIRE OF FLORA paraît magnifiquement maîtrisée, au comble d’une intelligence de la composition. Mais tout autant il en découle une texture simplement lumineuse et légère. La composition qu’on est en train d’évoquer tisse deux principes, qu’on pourrait croire antagoniques : d’une part la fixation de règles très exactes dans une écriture pré-donnée de la danse, d’autre part une place toujours laissée à l’écriture instantanée.
Pour en revenir à Merce Cunningham, on se souvient de cette réflexion où il indique, en substance, préférer déployer sur scène des dispositifs qui permettent à la beauté du monde de s’y révéler, et non pas chercher à imposer sur scène des formes censées représenter la beauté. C’est ce qu’on ressent dans Empire of Flora, et qui tient alors à une délicate intelligence de l’interprétation (partant, de la direction de danseurs propre à cette chorégraphe, qui aime souligner la grande confiance qui caractérise la relation, artistiquement très mûre, entre ces quatre jeunes hommes et elle-même).
A eux s’adresse une exigence de rigueur technique, en même temps que revient une grande responsabilité de choix dans l’écriture instantanée. La pièce les fait s’installer très patiemment dans sa texture ; de même, à maintes reprises, observer de longues poses. Ils génèrent cette pièce, tout autant qu’ils la laissent vivre. On n’y trouve jamais rien d’une surenchère spectaculaire, qui surcharge tant d’autres pièces de danse, en piégeant la relation avec un.e spectateur.ice assujetti à une émotion prédictive (n’est-ce pas, la Batsheva ?)
Les évolutions sont néanmoins enlevées, déployées, dans une grande aisance de gestion gravitaire. Les gestes ont le temps d’être par eux-mêmes. L’essentiel des partitions se joue en individuel – hormis quelques amorces en duo, ou plus, et portés) – dans une danse debout, dans une circulation d’ensemble assez cosmique. Cette danse s’entend clair sans se faire volubile… Or justement, et fort heureusement, l’essentiel réside dans la mise en co-présence active de personnes développant simplement, justement, la finesse d’un langage. Rien à souligner.
La relation a la musique a beaucoup à y voir. Issue de la bouillonnante scène techno du cru, la DJ Lolita Montana produit un set bellement aérien, dénué de tout cliché, même si les sons engagés, par nature, inspirent une énergie rayonnante. Oui mais en tout bon principe cunninghamien, les quatre danseurs n’ont surtout pas la mission de venir singer la musique. Certes, ils emprunteront eux aussi le chemin d’une élévation progressive, asymptotique, mais qui relève avant toute chose d’une ample respiration, translucide et respectueuse.
Devant Empire of Flora, on aura ressenti que cette esthétique vit quelque peu coupée du temps, voire du monde, comme entretenue dans un jardin des élégances. Mais dans un paysage de la danse qui paraît tellement occupée à se chercher sans trouver, cette forme de distance a quand même fini par nous paraître infiniment juste, tenace et peu remplaçable.
Jean Paul GUARINO – Revue OFFSHORE – Juillet 2022
Au-delà de WILDER SHORES, sa pièce déjà réussie de 2020, Michèle Murray témoigne avec sa toute récente création, EMPIRE OF FLORA de son toujours fort attachement à l’art chorégraphique et d’une respectueuse émancipation envers son Histoire.
La DJ entre sur le plateau, et, derrière ses platines, imprime d’entrée un rythme de boucles électro soutenues, comme pour mettre en condition danseurs et spectateurs, et initiant même quelque chose d’un suspense. Mais que vont-ils pouvoir faire sur une telle musique qui n’a besoin de rien pour déjà transmettre une irrésistible énergie ?
Deux morceaux plus tard, 1 danseur arrive, puis un deuxième et de 3 et de 4, nonchalamment, comme pour contredire la rythmique musicale, comme pour la dompter, la maitriser, pour le moins ne pas s’y soumettre. Sur une tonalité de warm-up, le contraste entre l’énergie balancée des platines et l’énergie contenue des danseurs se révèle sensuel. On n’est pas sur un dancefloor, le désir d’en découdre, de déployer un tout lâcher, d’aller vers l’unisson, devra attendre. Ils vont se donner avec parcimonie, en puissance mesurée, en oxymore dansant. Des règles soupçonnées sont respectées, vite oubliées, voire outrepassées, le désir n’obéit à rien, chacun sa ligne débridée, son vocabulaire baroquisant, son histoire. Se créent aussi des ébauches de duos, de paires plus exactement, les rencontres, parfaites, n’appelant rien ni de convenu ni d’ambigu, tout pour la danse uniquement. Portés, jetés, Michèle Murray aime la danse foisonnante et c’est amoureusement écrit. Temps de pause aussi, pour éviter tout récit, rester sur son sujet, la danse encore. Jusqu’au bout, la maitrise des corps, soumis à une écriture qui ne semble n’avoir de syntaxe, mais possédant son effervescente logique, résistera à l’exubérance et au lyrisme vital du tourbillon musical, pour mieux imposer leur puissance propre, jusqu’au contre-jour, jusqu’à la nuit tombée.
Moi qui ne m’attarde que rarement sur la technique et les individus, notons cette fois encore, les éclairages raffinés de Catherine Noden, la qualité du set de Lolita Montana et l’espèce d’improbable tendre sentiment induit par ces 4 étranges danseurs comme venus d’on ne sait où.
RES MUSICA
Montpellier Danse, version clubbing or not clubbing / Le 2 juillet 2022 par Delphine Goater
Deux salles, deux ambiances, réminiscences du clubbing et de la fête, à Montpellier Danse, avec 2019, la création d’Ohad Naharin pour la Batsheva Dance Company et Empire of Flora, de Michele Murray. Michèle Murray met le masculin au club
Pour EMPIRE OF FLORA, sa nouvelle création à Montpellier Danse, la chorégraphe franco-américaine Michèle Murray, montpelliéraine depuis plusieurs années, a confronté sur la scène du Théâtre La Vignette un quatuor masculin à un DJ set de la jeune Lolita Montana. Chacun évolue dans son univers, et les rencontres entre la danse et la musique se font incidemment, au détour de certains unissons ou d’une accélération soudaine.
Quatre très bons danseurs, quatre masculinités différentes sur le plateau nu. Avec une attention soutenue à chaque geste, une qualité de mouvement et une énergie féline, les quatre danseurs se jaugent, s’affrontent, se comparent, comme dans un défilé de mode. À côté d’eux, la DJ mixe un set dont l’intensité croît puis décroît. Il y a une certaine vanité dans ce défilé fascinant des apparences masculines, de la pose à la posture. Mais Michèle Murray ne tombe pas dans ce piège, maintenant la loupe sur le seul mouvement, dans une objectivité imperturbable.
Marie REVERDY – SPINTICA – Juillet 2022
Après Wilder Shores présentée lors de la 41e édition du festival Montpellier Danse, Michèle Murray poursuit son travail autour des toiles du peintre Cy Twombly. Dans Empire of Flora (1961), la couleur rose prédomine. On sent, laissée sur la toile, la trace de la fougue et de la chaleur du geste de peindre. Empire of Flora est également le titre d’une toile de Nicolas Poussin (1631) faisant référence à une allégorie du printemps et de la fertilité utilisée dans la mythologie greco-romaine.
Cy Twombly et le printemps foisonnant
Tout commence par le plateau, éclairé de rose, et la musique live de DJ Lolita Montana, dont les platines situées à cour font face au plateau vide. Le premier danseur rentre. Il travaille surtout le mouvement de ses bras, en ouverture, en ampleur, et l’on peut y lire une 5e qui apparaît quelquefois, comme autant de clins d’œil à la formation classique que Michèle Murray a suivie à Düsseldorf. Travaillant sur l’axe horizontal, pivotant le torse comme pour embrasser la totalité de l’ici et du maintenant, il sera rejoint par les autres danseurs qui feront leur entrée l’un après l’autre.
Piste de danse où il est interdit de se toucher, piste de danse où chacun explore la voie du mouvement, répète un geste, ébauche une phrase chorégraphique avant de déployer un discours. Piste de danse en solo, avant que quelques regards ne s’échangent (sans jouer cet échange, bien sûr), avant l’émergence de quelques unissons (sans que nous ayons l’impression d’un rendez-vous) et, pour finir, avant quelques pas de deux (sans que cela ne soit présenté comme l’apothéose du printemps). La pièce foisonne de détails chorégraphiques, inscrits dans les corps et dans l’espace. Des fulgurances de références semblent émerger de la vivacité des corps. Tout semble millimétré autant que fortuit, à l’image de la définition de la vie donnée par Jacques Monod, née entre « le hasard et la nécessité ». Il y a quelque chose de jubilatoire dans cette pièce, quelque chose de réjouissant. Le printemps n’a pas de paysage, il n’a pas d’odeur, il n’a pas de visage, il est état contradictoire, situé quelque part entre la puissance et la grâce.
Merce Cunningham et la liberté jubilatoire
Michèle Murray revendique l’héritage de Merce Cunningham auprès de qui elle s’est formée. La structuration géométrique du plateau, l’expression du visage et la modalité d’exécution sont les points les plus visibles de cet héritage. Il y a aussi, bien sûr, la liberté dans la contrainte et la rigueur comme moyen d’émancipation. Il y a, enfin, l’absence de thème : l’écriture chorégraphique prend son point de départ dans la relation entre le corps des danseurs et le plateau, et se construit par un processus génératif, combinatoire. Pour définir sa démarche, Michèle Murray parle d’écriture instantanée et la rapproche du fonctionnement linguistique : un stock de vocabulaire composé par chaque danseur et des règles de composition (syntaxe) qui sont ensuite trouvées au plateau. À partir de là, le nombre de possibilités devient infini et la créativité devient dialectique, entre choix et nécessité : « Dès qu’on commence à établir certaines règles, les règles suivantes se mettent en place presque d’elles-mêmes. Et à partir d’un certain moment, ce n’est plus nous qui dirigeons la pièce, c’est la pièce qui se dirige » explique Michèle Murray lors d’une interview accordée en février au CCN – Ballet de Lorraine.
La musique a une certaine indépendance vis-à-vis de la danse, dans une forme de dialogue qui, tout comme les danseurs entre eux, passera d’une relation à une autre, d’une préposition à une autre : avec, à côté, contre, malgré.
La fin de la pièce se fait sentir, quelque chose revient, comme un cycle, mais pas à l’identique…
PRESSE WILDER SHORES
Festival Uzès Danse – 19 juin 2021 | Par Antoine Couder.
Wilder shores: Les rives les plus sauvages (de l’amour)
Le public ne s’y est pas trompé, ces « rives plus sauvages » pourraient être un classique de la danse, dans sa façon de cadenasser l’espace, d’apporter des « consignes strictes, un vocabulaire dédié » qui va permettre d’irriguer et de tenir toute la phase de création. Une contrainte nécessaire qui éduque les danseurs à cette langue étrangère qu’est encore la chorégraphie naissante, un registre de base à partir duquel ils vont lancer leur conversation, s’agencer les uns aux autres. Au final, l’essentiel de cette pièce pourra chaque fois évoluer, du plus infime mouvement improvisé au plus grand écart, enfin presque. Doucement quand même, la chorégraphe veille et exige une performance passée au tamis de ses impératifs de création : le souvenir lointain d’une toile de Cy Twombly qu’il sera utile de contempler ici, pour prendre la mesure de ce romantisme des frontières des formes que l’on perçoit ici presque instantanément.
Metal machine Box
Dans cette pièce en trois parties, un sextet est projeté dans une déflagration musicale brutale et continue, vortex aigu qui surprend à peine tant rapidement, on s’enfonce dedans avec les danseurs, sous le contrôle live de son compositeur Gerome Nox qui semble avoir malaxé le « Metal machine Box » de Lou Reed en une impétueuse tempête dont le souffle lentement déchire l’espace, ces rives les plus sauvages dont il est question ici. Dans ce rugissement du bruit et de la fureur, les danseurs sont guidés par une force supérieure contre laquelle ils luttent vent debout. Une tension entre contrainte et mouvement qui enflamme leur puissance d’expressivité prise dans une tentative de performance, « une composition instantanée régie par une grille de règles strictes » (M. Murray).
Gros plan
La danse fourmille de ces fourmis danseuses tant occupées à survivre qu’elles ignorent les modalités même de leur existence. Ballet nourri de pas retenus, mais jamais robotiques. Mouvements instruits par les conventions qu’elles ont donc digérées. Fourmis danseuses, composées, assemblées à partir d’un exosquelette, d’une trachée respiratoire et d’antennes. Insectes en action, indifférents à la tragédie des événements, concentrés sur les seuls gestes qui garantissent leur survie. Leur danse est sombre et en même temps, aérienne, « improvisée » dans de minuscules espaces-temps que l’on distingue à peine, là où la vie progresse dans l’ombre et la clameur des éléments. Selon la chorégraphe, il n’y a pas plus de cinq minutes sur la soixantaine qui compose ces « Wilder shores » qui ne soient pas malléables et transformables en performance personnelle, dans ces variations infimes qui marquent l’intime liberté des danseurs-insectes. Ce qui frappe alors, c’est peut-être la capacité du geste à isoler le sujet de la déflagration ambiante, le dispositif scénographique parvenant à nous plonger également dans cette pensivité de la survivance. Sans doute parce qu’à la longue – vingt, trente minutes ? – finit par se matérialiser une vibration qui enrobe le geste, et accommode les rapprochements au sein du groupe. La pièce tout entière, nous dit-on encore, est construite sur l’idée du duo. Impossible en première partie, durant laquelle chacun lutte pour maintenir l’ordre chorégraphique, il se cristallise par la suite autour de deux danseurs qui occupent seuls la scène et s’offrent une magnifique expérience de contacts. Une de ces rencontres pleines de cette érotique cérébralité que l’excitation à matérialiser ce que l’on ne parvenait pas à percevoir a finalement rendu épaisse. Oui, c’était bien là, juste en dessous des gestes, et voilà que ça apparaît, amplifié ; grosses lunettes, gros plan, un peu obscène peut-être. De l’imaginaire de la performance, on passe à une tentative d’enregistrement des émotions, une cinématographie.
Jusqu’à l’épuisement
Autour de ce passage intersectionnel, insecte à vertébré, animal à « animé » c’est-à-dire « dansé », rien ne filtre vraiment sur le field recording. Pas de variation sonore ou de « changement de décor ». Le groupe disparaît puis revient, mais en rien cette impromptue ne vient casser l’ambiance, infléchir la température musicale. A nouveau encore et encore, la règle est fixe et rien ne semble vouloir la changer. Après le duo, le sextet revient au complet, un retour au commencement, éternel et sautillant, un peu plus organique pour le coup. Dans la pénombre, les pupilles se dilatent, les gestes rapprochent. La possibilité de contacts se matérialise cette fois joyeusement. Littéralement, la danse se décoince, elle n’est plus l’objet d’un litige entre liberté et contrainte mais s’échappe sous nos yeux, dans la pure jubilation de son désir et, finalement, dans son propre épuisement.
Danser Canal Historique / Thomas Hahn / Septembre 2020
Montpellier Danse 40bis : Création de « Wilder Shores » de Michèle Murray
De Merce Cunningham à Cy Twombly, des itinéraires imprévisibles pour sept danseurs entre désirs et discipline.
Avec Michèle Murray qui a fait ses armes à New York, chez Merce Cunningham notamment, la recherche du grand Merce trouve un répondant enthousiaste. Et ce tout particulièrement dans ce Wilder Shores, où sept danseurs évoluent dans un espace totalement ouvert, libre et non hiérarchique qui ne connaît ni centre ni périphérie. Un point dans cet espace est un point, c’est tout. L’interprète peut donc se balader où bon lui semble. Apparemment.Des rivages plus sauvages ? Ne cherchons pas à comprendre, ce titre est une utopie, un désir ardent, un phantasme inscrit dans un tableau de Cy Twombly – Wilder shores of love- qu’on abordera mieux par les émotions que par une analyse forensique.
Wilder Shores de Michèle Murray exprime tout autant le clivage entre le désir de liberté et le monde contre lequel il faut se soulever pour réussir la reconquête de sa part sauvage. Les sept danseurs ne livrent aucune preuve d’avoir réussi une telle libération, et cette pièce reste donc aussi énigmatique que le tableau de Twombly.La nouvelle création de Murray profite avant tout à la danse, pas au discours, et ce choix est bien sûr judicieux. Mieux vaut témoigner d’un rivage à atteindre que d’y faire les fous. Dans cette logique, Wilder Shores se distingue par une rigueur absolue, une précision implacable et une discipline infaillible. Et pourtant, la précision dans l’écriture et l’exécution ouvre des espaces de liberté, et peut-être même quelques lucarnes à l’imprévu. Le principe du random, de l’aléatoire donc, avait son importance pour Merce. Dans Wilder Shores, on rencontre ce que la chorégraphe appelle une écriture instantanée, où tout semble s’inventer à l’instant. Pourtant, rien n’est certain pour le spectateur. Quand deux danseuses entrent en collision, est-ce un accident ou un événement chorégraphié ? Sans doute une possibilité prévue, sans obligation de se réaliser.
Certain.es chorégraphiaient les gestes du quotidien. Cunningham inventait, au contraire, les mouvements les plus improbables, jusqu’à l’absurde. Son vocabulaire est à la fois une boîte à outils et une invitation à creuser toujours plus les démarches en déséquilibre. A Murray, qui s’amuse ici à remuer cette boîte à outils, cela inspire pléthore de façons de marcher : saccadé, glissant, les genoux pliés, les mains collées aux cuisses pour mieux tournoyer…
Tout commence par le premier danseur qui entre, en chaussettes bleues, les pieds en dehors, pour indiquer que l’univers du grand libérateur a quand même ses racines dans le classique ! Mais à partir de là, tout peut se transformer, s’inventer…Dans leurs croisements apparemment aléatoires du plateau, les individus s’observent et se rencontrent, face à face ou en parallèle, se mettent au diapason d’un unisson, le temps de se charger de cette énergie partagée, pour repartir vers de nouvelles aventures humaines. Et ça marche ! Après une première partie où le désir de toucher l’autre ne se réalise pas, après une longue pause ou le compositeur Gerome Nox règne seul sur l’espace sonore et chorégraphique, un couple émerge et se lance dans une recherche sur les appuis qu’offre l’autre, par ses cuisses, son buste, son dos, comme dans une promesse de rivages d’amour. La femme peut ici soulever l’homme, et bien sûr aussi se laisser soulever par lui. Là aussi, les modalités s’affranchissent de toute tradition. Et tout le monde finit par se retrouver comme dans un cours de danse, comme pour se préparer à de nouvelles aventures, une prochaine fois, sur des rivages qu’ils espèrent plus sauvages…
OFFSHORE / Jean Paul GUARINO / 24 SEPTEMBRE 2020
Nous y étions, en y étiez-vous ? Montpellier Danse 40 Bis / septembre 2020
Après une re-création puis une reprise, c’est au tour d’une création 2020, mercredi soir au Studio Cunningham de l’Agora, d’être présentée – « WILDER SHORES » en l’occurrence – la toute dernière de Michèle Murray. Nous ne parlerons pas de Twombly dont use Michèle Murray, dans la feuille de salle, pour nous renseigner sur sa posture d’auteure. Le titre de la pièce, indice de la petite cuisine interne de la créatrice, a dû surtout être choisi pour se doper, booster son écriture, creuser plus encore son exigeant sillon. Et ça marche ! Et d’entrée, quand le danseur est seul puis rejoint par un deuxième, puis une troisième et jusqu’à se retrouver à tournoyer à 7 sur le plateau ! 7 électrons libres, à moins qu’ils ne soient perdus, éclairés de la radicalité d’un blanc froid fait de blanc, de vert et de bleu, enveloppés d’un son profondément tellurique, si puissant que l’on n’entend ni leur souffle ni la rencontre avec le sol à la réception des nombreux sauts. Là encore, tout pour les silhouettes, tout pour les corps, tout pour la danse. Si dans cette « première partie », on a noté l’énergie et le charisme du petit Jimmy Somerville – Baptiste Menard en fait – lors de la « suite », le plateau baignant dans une atmosphère à la Flavin, purple, teinte dont raffolent les Américains, un superbe duo de danseurs se révèle alors – Deborah Pairetti et Alexandre Bachelard. Le purple ambiant se mue alors en un bleu cru, déshabillant un peu plus la chair et illuminant les perles de sueur. Toute la chorégraphie dira que ce n’est pas un duo, que ce n’est pas un couple non plus mais comment 1 + 1 font 1. Parce que c’était lui, parce que c’était elle. C’est beau. Retour rapide à la réalité, juste pour nous rassurer ou nous consoler, en nous signifiant que d’autres rencontres, toutes les rencontres, sont possibles. C’est bien quand ça finit bien.
L’ŒIL D’OLIVIER / Olivier Frégaville-Gratian d’Amore / 23 SEPTEMBRE 2020
Dans sa dernière pièce, la Montpelliéraine Michèle Murray n’a jamais été aussi près de la danse de Dominique Bagouet. Présentée dans le cadre de Montpellier Danse, le lendemain de la recréation de So Schnell, Wilder Shores a tout de la petite cousine éloignée. Troublante similitude ! Un simple mur de pierres jaunes sépare le studio Cunningham du théâtre de
l’Agora.Alors que la veille, Catherine Legrand donnait un nouveau souffle de vie à l’écriture de Dominique Bagouet, Michèle Murray explore à sa manière les chemins chorégraphiques entre abstraction et besoin d’ancrer sa danse, ses gestes dans un récit plus concret. S’inspirant de The wilder shores of love (les rives plus sauvages de l’amour), une œuvre du peintre américain Cy Twombly, l’artiste montpelliéraine trace sa route étirant le temps, multipliant les mouvements décalés, les gestes itératifs, portée par la musique Gerome Nox.
Une écriture singulière Costumes noirs contrastant avec le sol blanc, immaculé, les sept danseurs envahissent l’espace. Entrant l’un après l’autre, disparaissant à l’envi, revenant hanter les lieux, ils ne tiennent pas en place. Solo, pas de deux, chacun suit sa propre partition. Les corps se jaugent, se cherchent puis s’ignorent. L’écriture de Michèle Murray n’a rien de linéaire. Elle est faite d’une multitude de mots reliés entre eux par une grammaire stricte. Formée au travail de Merce Cunningham, elle aime le geste pour le geste. Elle enchaîne les mouvements, quitte parfois à déborder. Sa prose chorégraphique bien que formelle, se fait foisonnante.
Jeu de lumières Nimbant l’espace vide de lumières vives, tout comme Begoña Garcia Navas le fait sur So Schnell, la chorégraphe montpelliéraine, avec la collaboration de Catherine Noden, met en exergue le corps de ses danseurs, l’énergie qu’ils déploient pour habiter l’espace et donner vie à ces rivages imaginaires à la frontière entre rêves et réalité. Avec Wilder Shores, Michèle Murray signe une pièce plus complexe qu’il n’y parait. Toutefois, elle manque encore de polissage, de pratique, pour totalement emporter, séduire. Un spectacle en devenir !
ATLAS / ETUDES
Gérard Mayen : Vu le mercredi 27 juin (en deux parties) au Studio Bagouet des Ursulines, dans le cadre du 38e Festival Montpellier danse
Montpellier Danse : « Atlas / Etudes » de Michèle Murray. Avec une belle distribution, dans un lieu idéal, la chorégraphe compose un atlas des savoirs et malices, saisi au vif des danses d’aujourd’hui.
Il ne se passe jamais rien de banal dans le studio Bagouet, du Centre chorégraphique national de Montpellier. Conçu en son temps par le chorégraphe qui lui a laissé son nom, cet équipement présente le volume parfait d’une cage de scène, à laquelle le public serait incorporé. C’est incroyablement stable, vaste et posé. Or cela frissonne à l’appel de tous les possibles révélés.
On ne pouvait rêver cadre mieux adapté à l’idée que travaille Michèle Murray, dans sa pièce Atlas / Etudes, créée à l’invitation du Festival Montpellier danse (38e édition). Déclinées en deux séries distinctes dans la même journée, dix études s’enchaînent, chacune avec sa durée (aucune de plus de vingt minutes) et selon une distribution renouvelée parmi un riche effectif de sept danseur.se.s au total. Soit une vaste palette dans les répartitions de nombre (du duo à l’ensemble) et de genres. Il y a quelque chose du jeu de cartes rebattu dans ce déroulé. Les coupures entre études sont nettement marquées, sur le plateau alors intégralement vidé (et par ailleurs laissé au brut de son noir velouté des lumières de Catherine Noden). Au lancement de chaque étude, les protagonistes s’avancent et prennent place fermement, en position immobile volontiers frontale et centrale. À partir de là s’amorce une variation gestuelle qui a quelque chose de l’éclosion, pour se développer ensuite dans la contamination ou la prolifération. Cet engagement des choses fait événement…
….Revenons à celle-ci… (la pièce)… Selon le principe de relance inventive, évoqué ci-dessus, elle est souvent captivante, parfois grisante. Chaque étude est le prétexte à une remise en jeu, selon des combinatoires, des modes inter-relationnels, des qualités d’écoute, des partages de niveaux énergétiques, incessamment ré-envisagés. Un déroulé se propose. On le sent se développer. Mais on ne sait vers où, et au total, une indistinction du but assigné emporte la grande composition d’ensemble.
Cette qualité entre en tension avec la condensation des présences impliquées – très impliquées – des interprètes. Il se passe toujours quelque chose quand une tension œuvre. Impossible de restituer l’abondance des motifs, des situations, des techniques, investis par ces danseur.se.s. Mais une intelligence enjouée émane de cet agencement, qui par ailleurs offre à jouir des traits de personnalités physiques et morales, aussi diverses qu’affirmées, qui y sont mis en jeu. On pourrait parler de sacrées « gueules chorégraphiques »,… émaillant ces jeux qui ne sont pas sans théâtralité.
À rebours de cela, la chorégraphe affirme avoir désiré un « état mental de performeur, dans le choix du ressenti plutôt que dans l’exécution et la représentation. Ils doivent “être” et non pas “jouer”. L’écriture instantanée telle qu’ils la pratiquent dans presque toutes les études exige cela ». Là encore en tension salutaire, cet objectif est atteint. On y trouve le sel de l’esprit actuel d’une interprétation contemporaine. Souvent le regard est alors tenu en haleine.
Lise OTT, Montpellier Danse Juin 2018
Comment les corps racontent-ils notre époque ? Comment entrent-ils en résonance avec le monde ? Les questions de fonds que pose Michèle Murray dans Atlas / Etudes sont aussi des questions de danse et de territoire, de mémoire et de mythologie. Basée à Montpellier la chorégraphe d’origine franco-américaine, formée aux techniques classiques à Düsseldorf et contemporaine à New York auprès de Merce Cunningham, a décidé de mixer les exigences de son écriture abstraite et narrative à une remise en jeu des formes de danses actuelles. En 2012, la création de PLAY, structure ouverte à d’autres modes d’expression artistiques pour fédérer des projets sur le corps, le mouvement et la chorégraphie, en définit le cadre. Guidée par l’inspiration de l’atlas « Mnémosyne », collection d’images de l’historien d’art Aby Warburg, elle développe le dessein d’un atlas chorégraphique personnel constitué de dix pièces courtes – les trois dernières écrites spécialement pour Montpellier Danse. Indépendantes les unes des autres, ancrées au rythme tous azimuts de musiques variées dont celles du compositeur Gerome Nox, elles mettent à nu le résultat d’un travail d’improvisations rigoureux et inventif, apte à rebattre les cartes de la modernité et s’émanciper de tout académisme. Pièces à vivre et à éprouver, elles dessinent l’atlas d’une chorégraphe engagée dans un inédit marathon de danse pure, bourrée d’énergie et de jubilation.